mardi 27 mars 2012

La monographie du bleu (Romane Maier)


    La couleur est une étiquette ; elle sert à indiquer à qui ou à quoi on a affaire. Ce rôle classificatoire se retrouve dans les systèmes symboliques ou sociaux de la couleur, spécialement la couleur bleue, qui devient une couleur appréciée et recherchée.

Lessive Saint Marc
    Qu'il soit aérien ou océanique, le bleu évoque de vastes espaces calmes et sereins. Cette couleur symbolise la paix, appelle à l'évasion et au rêve. Comme le ciel bleu ou la mer qui ouvre les horizons, le bleu et ses nuances (turquoise, cyan…) est une couleur étroitement liée au rêve, à la sagesse et à la sérénité [1]. Cette citation de Guy de Maupassant illustre très bien ce propos : « L'âme a la couleur du regard. L'âme bleue seule porte en elle du rêve, elle a pris son azur aux flots et à l'espace. » [2].

    Comme l'eau qui désaltère, le bleu a un petit côté rafraîchissant et pur. Hygiène, fraîcheur et propreté sont indissociables du bleu. Les publicitaires le démontrent sans arrêt. Ainsi, une foule de produits devant posséder ces caractéristiques sont bleus ou ont un emballage bleu : le lave-vitre, la poudre détergente avec ses particules bleues (comme la lessive Saint Marc) ou encore les bonbons à la menthe [3].
Scarabée ailé. Faïence égyptienne bleu vif, Basse Epoque.

    Le bleu est, depuis fort longtemps, la couleur préférée de la majorité des occidentaux. Pourtant, d'après Michel Pastoureau [4], cela n'a pas toujours été le cas.  Longtemps, le bleu a été mal aimé. Il n'est présent ni dans les grottes paléolithiques ni au néolithique, lorsque apparaissent les premières techniques de teinture. Dans l'Antiquité, il n'est pas vraiment considéré comme une couleur ; seuls le blanc, le rouge et le noir ont ce statut. A l'exception de l’Égypte pharaonique, où il est censé porter bonheur dans l'au-delà.

La Vierge au Rocher de Léonard De Vinci

    La couleur bleue est difficile à fabriquer et à maîtriser, et c'est sans doute la raison pour laquelle elle n'a pas joué de rôle dans la vie sociale, religieuse ou symbolique de l'époque. A Rome, c'est la couleur des barbares, de l'étranger.

    Le bleu est toujours absent du culte catholique à l'exception du saphir, pierre préférée des peuples de la Bible.  Les XIIe et XIIIe siècles vont réhabiliter et promouvoir le bleu.  Il va y avoir un changement profond des idées religieuses. Le Dieu des chrétiens devient en effet un dieu de lumière. Et la lumière est bleue ! Pour la première fois en Occident, on peint les ciels en bleu (auparavant, ils étaient noirs, rouges, blancs ou dorés). Dans les images, à partir du XIIe siècle, on revêt la Vierge d'un manteau ou d'une robe bleue comme en témoigne l'œuvre de Léonard De Vinci : La Vierge au Rocher. La Vierge devient le principal agent de promotion du bleu. La couleur si longtemps barbare devient divine.


    Le bleu éclate dans les vitraux gothiques. Puis il entre en politique : les armoiries familiales des Capet (fleurs de lys sur fond d’azur) deviennent l’emblème du roi de France vers 1130. Le rouge reste impérial et papal, mais le bleu devient royal : c’est la couleur du légendaire roi Arthur.

    Entre les 15e et 17e siècles, le bleu devient une couleur « morale » et « honnête » malgré la présence des « non couleurs » (le noir, le blanc, et le gris sont très présents, notamment dans l'industrie de 1950 avec le noir des voitures et le blanc des appareils ménagers).

    Enfin, du 18e au 20e siècle, le bleu triomphe. L’invention, vers 1720, de la gravure en couleurs prépare la réorganisation du système autour de la triade rouge/ bleu/ jaune, futures couleurs primaires. Les bleus se diversifient. Vers 1710, une fraude commerciale donne naissance à un nouveau pigment, le bleu de Prusse. Et c’est Goethe qui, avec l’habit bleu de Werther (1774), lance le bleu romantique, celui de la « petite fleur bleue » de Novalis, couleur de la mélancolie et du rêve qui aboutira vers 1870 au « blues » anglo-américain.

Drapeau de l'organisation des Nations Unies (ONU)
    Le bleu politique s’affirme d’abord en France : entre 1789 et 1794, il passe des armoiries à la cocarde, de la cocarde au drapeau et aux uniformes. Puis le bleu politique se mondialise en couleur de la paix et de l’entente (ONU, Europe). Côté vestimentaire, le noir se transforme en bleu marine, autour de 1930, sur presque tous les uniformes (marins, mais aussi policiers, pompiers, facteurs), et le bleu civil s’impose via le jean (vêtement sage plutôt que rebelle).

Impression soleil levant (1872) de Monet



Cette citation de Pierre-Auguste Renoir montre l'importance du bleu dans la peinture impressionniste : « Un matin, l'un de de nous manquant de noir, se servit de bleu : l'impressionnisme était né. » [2].

Affiche du film Le Grand Bleu réalisé par Luc Besson
    Plusieurs expressions témoignent encore de nos jours de la variété des connotations acquises par le bleu : comme « être fleur bleue » (être romantique) ; « avoir les bleus » (être mélancolique) ; « avoir du sang bleu » (faire partie de la classe noble). Le mot bleu s'est inscrit dans nombreuses de nos paroles, ce mot désigne en premier lieu une couleur, mais il s'est vite trouvé d'autres significations (« avoir un bleu », « manger du bleu », « porter un bleu de travail », « avoir une peur bleue », « avoir du sang bleu »...). Jacques Prévert joue de cette variété dans ses poèmes : « Palsambleu, morbleu, ventrebleu, jarnibleu ! Dieu aussi a eu son époque bleue. » [2]. Il est très présent dans les noms de films, de magasins, de personnages (Barbe Bleue), ou encore de radio. Enfin de nombreuses entreprises s'emparent de la couleur pour leur logo (Ravensburger, EDF...).
Logo de la société de jeux Ravensburger
Sources :
[1] http://www.code-couleur.com/signification/bleu.html
[2] http://mots.revues.org/ 
[3] http://www.micheldurso.be/tfe/0721_bleu.php
[4] http://www.lexpress.fr/styles/1-le-bleu-la-couleur-qui-ne-fait-pas-de-vagues_489095.html
Romane Maier